Article 34 a interrogé les journalistes qui ont quitté le Journal du Dimanche à l’été 2023 pour savoir ce qu’ils sont devenus et connaître leur regard sur la situation des médias en France.
Si c’était à refaire aujourd’hui, ils n’hésiteraient pas : ils partiraient en masse, comme ils l’ont fait à l’été 2023. Bientôt un an après la grève exceptionnellement longue du JDD, notre association, Article 34*, a sondé les anciens membres de la rédaction, c’est-à-dire tous ceux qui ont préféré quitter leur journal plutôt que de travailler avec un nouveau directeur proche de l’extrême droite, nommé contre leur gré par l’actionnaire.
L’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête de l’hebdomadaire a entraîné un exode massif et brutal. Dans les semaines qui ont suivi l’accord de fin de conflit, négocié le 1er août 2023 avec la direction de Lagardère Media News, sur une centaine de journalistes du Journal du Dimanche, 95% ont choisi de signer une rupture conventionnelle individuelle.
Parmi ces anciens, 83 ont répondu à notre questionnaire (lequel garantissait l’anonymat des participants). Il en résulte que 99% des votants claqueraient de nouveau la porte aujourd’hui, même si leur choix fut difficile, voire douloureux : 81 personnes assurent ainsi ne pas regretter leur décision ; une personne choisirait de rester « si c’était à refaire » ; et une autre ne se prononce pas.
Nous nous sommes intéressés au devenir des anciens du JDD en matière d’emploi. En juin 2023, avant la grève, 42 des sondés y travaillaient en CDI, 4 en CDD, 28 en piges régulières, 7 en piges occasionnelles. Aujourd’hui, seulement 18 journalistes ont retrouvé un CDI. Les autres déclarent des situations plus ou moins précaires (**) : 12 sont en CDD, 29 en piges régulières, 14 en piges occasionnelles ; 5 sont désormais employés dans un autre secteur que la presse, 4 retraités ou pré-retraités et 8 sans activité.
Ces statuts variés ne livrent pas d’indication sur l’évolution des revenus des répondants, qui n’ont pas été questionnés sur ce sujet précis dans notre sondage. Néanmoins, pour nombre d’entre eux, y compris parmi ceux qui travaillent en piges régulières, la qualité et le niveau de vie ont pu sensiblement baisser. Malgré ces changements importants, 37% des répondants estiment que leur situation professionnelle actuelle leur convient « plutôt » et 28,3% « tout à fait » ; 26% répondent que celle-ci ne leur convient « pas vraiment » ; 8,6% « pas du tout ».
Aux yeux des journalistes interrogés, l’évolution de la ligne éditoriale de leur ancien titre ne fait aucun doute, puisque 97,3% d’entre eux estiment qu’elle « a pris un virage radical et relaie le discours de l’extrême droite » ; 2,7% qu’elle « a accentué son positionnement à droite ». Personne en revanche ne juge que la ligne serait restée « globalement fidèle à ce qu’elle était, modérée » (0%).
Les avis se révèlent plus nuancés en ce qui concerne les ministres ou les élus de la majorité présidentielle qui s’expriment dans les colonnes du nouveau JDD : 75% des répondants trouvent cela « choquant » ; 19,7% assurent que « cela ne [leur] fait ni chaud ni froid » ; 5,3% considèrent que « c’est légitime, il faut parler à tout le monde ».
Enfin, si l’on élargit la focale, les ex-collègues se montrent très majoritairement inquiets quant à la situation des médias en France à la suite de l’épisode du JDD et des mouvements en cours dans les médias ces derniers mois : si 2,5% des répondants pensent que la liberté et l’indépendance de la presse sont « suffisamment garanties et encadrées », 48,75% d’entre eux jugent au contraire qu’elles sont « menacées », et autant (48,75%) qu’elles sont « gravement menacées ».
(Photo : Albert Facelly)
* L’association Article 34 a été créée par d’anciens journalistes du JDD et de Paris Match.
** Plusieurs réponses étaient possibles.